Les Archives de l’Etat du Valais conservent dans le fonds du Département de l’Intérieur 35 lettres adressées aux autorités valaisannes par Jean-Baptiste-Jérôme de Brémond, nommé le 2 mai 1818 consul général du Portugal et du Brésil en Suisse. Cette correspondance débute par une lettre d’accréditation datée du 10 septembre 1818, dans laquelle de Brémond informe que « (…) Sa Majesté Très Fidèle a daigné faire choix de ma personne pour son Consul auprès de la Confédération Suisse et des avantages que Sa Munificence Royale accorde à tous les Suisse qui iront s’établir dans ses Etats du Brésil. ». Il joint à sa missive « (…) un exemplaire du Traité de Colonisation » que le roi du Portugal « a accordé à la Suisse à la demande du louable Canton de Fribourg et l’extrait du rapport de M. Gaschet sur le climat et la fertilité des terres destinées à la Colonie Suisse ».
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Correspondance adressée aux autorités valaisannes par Jean-Baptiste de Brémond, consul général du Portugal et du Brésil en Suisse
Le traité de colonisation du 11 mai 1818
Ce traité, qui n’a pas été conservé sous forme manuscrite l’a par contre été sous la forme d’un exemplaire imprimé dans la bibliothèque de Rivaz conservée à la Réserve de la Médiathèque Valais. Pour rappel, le traité de colonisation a été signé à Rio le 11 mai 1818 par Sébastien-Nicolas Gachet, chargé de mission par le Gouvernement fribourgeois, et fixe le principe de l’installation d’une colonie suisse dans le district de Canta Gallo. Il y est notamment mentionné que « [Sa Majesté] daigne accorder le payement des frais concernant l’établissement d’un nombre de familles de colons, hommes, femmes et enfans, jusqu’à la concurrence de cent familles, tous de la religion catholique apostolique romaine ». Et, afin de permettre un établissement avec douceur des colons, « chaque famille, selon le nombre de personnes dont elle sera composée, recevra en toute propriété par concessions et sans redevance quelconque une quantité déterminée de terre, plus des bestiaux – soit bœufs, chevaux ou mulet de traits, des vaches, brebis, chèvres et cochons – ; pour planter et ensemencer, il leur sera distribué du blé, des haricots, des fèves, du riz, des pommes-de-terre, du maïs, des graines de mamón pour faire de l’huile à brûler*, des semences de lin et de chanvre, et enfin ils recevront des vivres en nature, ou en argent, pendant les deux premières années de leur établissement ». Et afin de pérenniser la colonie, le dernier article mentionne que « (…) Sa Majesté (…) déclare que, s’il se trouvait dans le nombre des Suisses qu’Elle aurait fait venir à ses frais quelques-uns qui désirassent retourner dans leur mère patrie, Elle n’y mettra aucun empêchement, mais qu’ils ne pourront disposer à leur volonté que de la moitié de leurs biens-fonds et immeubles pendant les vingt premières années de l’établissement de la colonie (…) ».
*Le mamón est un arbre dont le nom latin est Melicoccus bijugatus ; l’arbre porte un fruit riche en saccharose, glucose et fructose ainsi qu’en fer et en phosphore. Les fruits sont mangés frais ou en confiture et les graines utilisées pour faire de l’huile à brûler.
Un premier contingent de 80 personnes
Quant aux premiers éléments concrets en lien avec la colonisation, ils sont mentionnés dans une lettre de Monsieur de Brémond, datée du 1er février 1819 : « (…) j’ai l’honneur de prévenir Vos Excellences qu’elles pourront fournir quatre-vingts personnes de leurs sujets catholiques pour faire partie de la première colonisation et comme c’est dans le ressort de Mr de Pierre, abbé de Saint-Maurice, que se trouvent les personnes qui ont le plus souffert des derniers événements [allusion à la Débâcle du Giétro] et d’autres qui éprouvent le besoin de chercher une nouvelle patrie, je prie Vos Excellences de permettre que Mr de Pierre ait l’honneur de leur présenter le tableau des colons ». Depuis lors, l’échange de correspondance sera très régulier.
Avis officiel aux colons 1°
Le dossier conserve en outre un « Avis officiel à toutes les personnes qui ont demandé de faire partie de la Colonisation des Suisses au Brésil », qui précise les modalités concrètes du voyage et dont la lecture de quelques extraits nous permet de mieux comprendre le contexte de l’époque :
« Tout Suisse qui sera admis par le consul de Portugal au nombre des colons pour la colonie des Suisses à Canta Gallo deviendra sujet de Sa Majesté Très Fidèle le roi de Portugal. (…) il est sous la protection spéciale du Roi et des Agents de Sa Majesté Très Fidèle dans tous les pays qu’il traversera pour s’embarquer et arriver au Brésil. Le transport des colons, des ports d’Europe au Brésil, aura lieu sur des navires dont le pavillon est respecté des corsaires ».
Avis officiel aux colons 2°
S’ensuit la description des qualités auxquelles doivent satisfaire les colons :
« Pour être admis au nombre des colons, il faut être muni d’un certificat de probité et de bonne conduite des autorités ecclésiastiques et civiles de sa paroisse et présenter au Consul un passeport ou permis de partir du gouvernement d’où le colon ressort. Il faut de plus pour que le consul admette un colon qu’il soit laborieux et propre au travail de la terre, ainsi que tous les enfans en âge de travailler. Le chef de chaque famille ainsi que tous les individus, autant que possible, qui composeront sa famille, doivent être exempts d’infirmités au moins les plus graves et surtout des suivantes : de p[h]tisie, le crétinisme, d’idiotisme, la folie, la manie, la cecité ; en un mot toute espèce de maladie contagieuse ou de maladie chronique qui les rendraient impropres au travail, serait une raison d’exclusion ».
Avis officiel aux colons 5°
Dans cet avis officiel, figure aussi la description du voyage vers le Brésil :
« Les colons devront se trouver à Basle le jour indiqué par le consul pour s’embarquer sur des bateaux couverts qui seront préparés à cet effet pour les transporter en Hollande à bords des navires avec leurs familles et leurs bagages. Dès ce moment, ils deviennent sujets portugais et comme tels ils seront placés sous la protection de légations portugaises en Europe. Ils seront accompagnés depuis Basle en Hollande par un secrétaire du Consul de Portugal en Suisse, qui sera personnellement chargé de la police du convoi et qui, à leur arrivée dans le port de l’embarcation, fera la remise des colons et de leurs papiers entre les mains du Consul de Sa Majesté Très Fidèle dans ledit port et fera avec ledit Consul l’inspection des approvisionnements destinés à la nourriture des colons pendant la traversée. Après que le verbal des dites opérations aura été dressé, le départ aura lieu ».
Avis officiel aux colons 9°
L’arrivée des colons au Brésil n’a pas été oubliée non plus :
« Les colons, à leur arrivée au Brésil, seront spécialement sous la protection de Son Excellence Monseigneur de Miranda, grand chancelier et inspecteur de la colonisation des Suisses. Et je suis autorisé à les assurer de sa part qu’il donnera tous les soins pour leur procurer toutes les aisances compatibles avec l’état présent des choses pour le succès de la colonisation et le bonheur individuel des colons ».
Un acteur majeur – l’Abbé de St-Maurice
La correspondance du Consul de Brémond nous renseigne également sur les principaux acteurs valaisans de cette colonisation. Aux côtés du Grand Bailli Charles-Emmanuel de Rivaz, l’abbé de Saint-Maurice, le Lidderain Etienne Germain Pierraz, joue un rôle majeur en raison de son amitié avec le Consul de Brémond. Il doit sans doute s’en faire l’ardent promoteur, si l’on songe que la très grande majorité des colons proviennent du territoire abbatial de Saint-Maurice. C’est ainsi lui qui décide la composition du premier convoi de Valaisans, comme nous l’apprend une lettre du secrétaire du Consul de Brémond, datée du 16 mars 1819 : « J’ai l’honneur d’informer votre excellence que Monsieur le consul a déterminé le nombre des colons de votre canton à partir par le premier convoi au nombre de 124 et il cherchera pour les deux autres convois à les favoriser autant que cela pourra être agréable à votre louable gouvernement. Sa Révérence Monsieur l’Abbé de Pierre a bien voulu permettre de je dépossasse entre ses mains le double des tableaux des colons partans, formant sept famille, dont six de 18 personnes et une de seize, sans compter les enfans au-dessous de trois ans, qui sont au nombre de 17». Une lettre datée du 30 mars est encore plus explicite : « Monsieur l’Abbé de Pierre a eu la bonté de me prévenir qu’il y aurait quelques changements dans le personnel des colons et je lui donne plein pouvoir de choisir à ma place les remplaçants. Je lui donne aussi les informations nécessaires pour les bagages des colons, afin d’éviter les avanies des douanes hollandaises et prussiennes du Rhin »
Le départ pour le Brésil
Dans un des derniers documents conservés de la correspondance du Consul de Brémond, nous pouvons lire en date du 15 octobre 1819 d’Amsterdam : « la colonie des Suisses est partie des ports de Hollande pour le Brésil. Malgré les obstacles de toute nature et les difficultés d’une semblable expédition, elle est enfin couronnée du succès. » Les Valaisans ont embarqué le 8 octobre sur un bateau, L’heureux voyage ; ils sont 442 colons des cantons de Soleure, du Valais, de Schwyz et de Lucerne à avoir pris place sur ce navire. Ils parviennent au Brésil le 17 décembre 1820.
On y apprend également que « pendant les moments difficiles que la colonie a passé en Hollande, M. Mathieu Lanthelme [de Martigny] s’est particulièrement distingué par le zèle avec lequel il a secondé les autorités portugaises chargées de veiller au bien-être des colons et je me suis fait un devoir d’en informer le Gouvernement de Sa Majesté Très Fidèle, en le recommandant à sa bienveillance (…) ».
L’exemple de Vouvry
En complément des documents du fonds du Département de l’intérieur, certains fonds de communes nous renseignent sur l’organisation mise en place au niveau communal pour recruter des colons, et sur les relations étroites entre les communes et le canton dans le processus de sélection des candidats. L’appel au départ a ainsi eu un écho auprès de plusieurs communes, même si, au final, celles-ci n’enverront pas de représentants à Nova Friburgo.
En témoignent deux lettres actuellement conservées dans le fonds de la Commune de Vouvry. Le Grand Bailli de Rivaz répond ainsi le 12 mars 1819 à une lettre du président de Vouvry qui souhaitait intégrer au premier convoi valaisan des habitants de cette commune. De Rivaz rappelle les conditions : « Votre lettre du 8 de ce mois par laquelle vous sollicités pour vos ressortissans désireux de passer au Brésil la préférence pour le premier convoi n’a pas pu remplir son objet, attendu qu’il ne partira tout au plus que 80 personnes par ce premier convoi, d’après ce que m’a dit le secrétaire de Mr le Consul de Portugal, et que ce nombre sera presque entièrement rempli par les familles de Salvan. Mais M. le Secrétaire paraît disposé à faire partir la Colonie de Vouvry par le second convoi, qui aura lieu au 15 juin, et je m’emploirai volontiers à le lui rappeller lorsqu’il en sera question. Veuillés le dire aux intéressés.
Je serais charmé d’avoir la liste nominative de tous ceux qui se sont faits inscrire, en y joignant leur âge, leur profession, le nom et l’âge de leurs femmes ainsi que celui de leurs enfans, afin que j’ai des notions exactes sur le nombre que Vouvry pense à y envoyer.
Ils savent sans doute qu’il faut aller à ses frais jusqu’au port de mer, que s’il y a des enfans au-dessous de trois ans le roi ne paye pas leur passage et que ce passage coute environ trente louis ».
L’exemple de Vouvry
Ce sont finalement des raisons financières, liées sans doute à la faible capacité économique des candidats, qui retiendront les habitants de Vouvry, malgré les propos rassurants que couche sur le papier le Grand Bailli de Rivaz le 26 avril 1819 dans une nouvelle lettre adressée au président de Vouvry : « J’ai vu par la lettre, que vous m’avés adressée le 24 mars dernier que les particuliers qui avaient fait des démarches pour être admis dans la colonie suisse que le roi de Portugal admet dans ses Etats du Brésil avaient renoncé à leur projet d’après l’avis que je leur ai fait donner par vous que les enfans au-dessous de trois ans étaient obligés de payer pour leur passage.
Je crois devoir vous prévenir aujourd’hui que M. l’abbé de Saint-Maurice, par sa lettre du 22 avril, m’informe que Mr. Gattschet, négociateur du premier traité de colonisation, a obtenu du gouvernement portugais que les dits enfans passeraient aussi gratis.
Par conséquent, si les ressortissans de votre Commune n’ont été retenus que par cet obstacle, il se trouve levé à leur égard. Je vous prie, Monsieur le Président, de les en instruire afin qu’ils puissent aviser au parti qu’ils voudront prendre. (…) ».
Ces nouvelles conditions ne semblent pas avoir modifié l’avis des habitants de Vouvry, puisqu’aucun d’entre eux ne partira finalement pour Nova Friburgo.
Rapport du 29 juin 1821
De même, les Archives de l’Etat du Valais conservent dans le fonds du Département de l’Intérieur des exemplaires des très nombreux rapports qui décrivent périodiquement les conditions dans lesquelles les colons vivent à Nova Friburgo. Et il est loin le pays de cocagne tant vanté lors de la phase de recrutement. Le premier rapport conservé est rédigé par Pierre Schmidtmeyer en juin 1821, et se trouve déposé à la Médiathèque Valais dans le fonds de Rivaz. Sa lecture confirme que la situation est loin d’être aussi prometteuse qu’attendu. L’auteur ne force sans doute pas le trait sur les conditions d’existence, quand bien même son propos vise à créer des sociétés de secours mutuels pour venir en aide aux colons : « La quantité, la qualité, et la situation du terrain destiné aux colons étaient les objets les plus intéressants pour eux. C’était là la base de toutes leurs espérances pour exercer avec fruit leur travail et leur industrie, et pourvoir ensuite au bien-être au moins d’une première génération. Il arrive maintenant que la quantité donnée n’est pas équivalente à l’entreprise et à ce qu’ils pouvaient attendre, que la qualité est d’un résultat encore douteux et que la situation est défavorable à la culture des principales productions de ces contrées et au transport du superflu de leurs récoles. (…)
Quoique les colons fussent déjà arrivés à la colonie depuis novembre 1819, jusques en février 1820, ce ne fut cependant que le 23 avril suivant que les portions furent tirées au sort et en juin que l’on commença les chemins, qui ne furent achevés qu’en décembre ou janvier suivant. Et les Suisses furent donc obligés de rester dans leurs ville et villages jusques à ce qu’ils pussent aller se fixer sur leurs fermes, usant leurs outils, leurs vêtements et leur tems à faire ces chemins, d’abord dans la vallée, et de là, à leurs ferme. Ils furent aussi employés à construire des ponts et on ne leur délivra que quelques pioches qui leur furent ensuite reprises. »
Rapport du 30 mars 1822
Un rapport rédigé l’année suivante par deux membres de la Société suisse de Rio de Janeiro, qui ont visité la colonie de Nova Friburgo, s’inscrit dans la même veine que le rapport précédent. Il décrit la situation peu glorieuse d’une colonie comptant à ce moment-là environ 1500 habitants, où « les orphelins forment dans cette somme un nombre plus fort que la proportion ordinaire » (en juin 1822 Nova Friburgo compte 298 orphelins, dont 164 ont moins de 14 ans). Le rapport aborde différentes thématiques dont les terres, l’industrie et les fabriques, l’éducation, les secours aux malades, la justice ou encore la religion. S’ensuit la liste des veuves et orphelins dont la célèbre famille de Geneviève Lugon, mais aussi Marie-Catherine Morand, qui sont les deux veuves qui figurent sur la liste des 160 colons valaisans qui quittent les Pays-Bas en octobre 1819.
Demande de naturalisation pour les enfants Cretton
Le fonds du Département de l’Intérieur contient aussi des documents qui témoignent du parcours de vie de certains colons une fois arrivé sur place. Une lettre du 22 août 1862 nous apprend ainsi que Joseph-Antoine Cretton, originaire de Martigny, fils d’Antoine et de Françoise, a épousé le 16 août 1822 Catherine Lugon Moulin, fille de Geneviève Lugon Moulin. Joseph-Antoine souhaite que sa commune d’origine reconnaisse son mariage et « que par là ses enfants deviennent citoyens suisses ». Les autorités fédérales apportent leur soutien à cette démarche et incitent les autorités valaisannes à en faire de même. Il est même précisé « que la famille Cretton est très honorable, possède une modeste aisance et qu’il n’y a pas à redouter qu’elle soit pour l’avenir une charge pour sa commune ». Précaution d’usage nécessaire, car, à cette époque, les frais éventuels d’assistance devaient être pris en charge par la commune d’origine.
Héritage
Parfois subsistent également dans les archives des documents en lien avec des questions d’héritage qui éclairent la situation des colons. C’est le cas notamment d’un ressortissant d’Orsières, Nicolas Lovay, qui a émigré pour le Brésil en 1820 et qui est héritier d’un membre de sa famille demeuré en Valais. Les recherches faites pour retrouver Nicolas Lovay et son épouse, Anne-Madeleine Pellouchoud, sont malheureusement restées vaines, comme l’atteste cette lettre des autorités fédérales envoyées aux autorités cantonales en décembre 1869.